Le 27 mars 2020, la Commission européenne a publié deux rapports (rédigés par Alliance Environnement) analysant les impacts de la Politique Agricole Commune 2014-2020 sur l’eau et la biodiversité dans l’Union Européenne. Dans ces rapports, une attention particulière est accordée à la mesure 13 de la PAC (Indemnités compensatoires de Handicaps Naturels « ICHN »). Créée en 1976, cette mesure est un outil clé du deuxième pilier de la PAC pour soutenir les agriculteurs de montagne. Le Portugal et la Pologne sont de loin les pays qui comptent le plus grand nombre d’agriculteurs bénéficiant aujourd’hui de l’ICHN, tandis que la France, l’Autriche et la Pologne ont la plus grande superficie agricole totale couverte par cette mesure. Avec un budget stable dans la PAC 2014-2020 (36 % des dépenses publiques totales du deuxième pilier au niveau de l’UE), par rapport à la période 2007-2013, l’ICHN a des effets indirects mais positifs sur l’eau et la biodiversité.
L’agriculture de montagne parmi les meilleures pratiques agricoles pour la gestion de l’eau
Selon le Rapport sur l’Impact de la PAC sur l’Eau, l’Indemnité Compensatoire de Handicaps Naturels (ICHN) figurait parmi les mesures bénéficiant du budget le plus élevé pour atteindre les objectifs de gestion de l’eau – avec d’autres mesures telles que l’agriculture biologique et les investissements dans le développement des zones forestières et l’amélioration de la viabilité des forêts. L’ICHN représente 31,8% du budget total de l’UE alloué à la gestion de l’eau dans les Programmes de Développement Rural (en comparaison, les mesures agroenvironnementales et climatiques représentent 33,4% et l’agriculture biologique 12,5% de ce budget).
Le rapport évalue positivement l’impact de l’ICHN sur l’eau car il encourage une « distribution équitable de l’aide au revenu […] qui peut permettre aux agriculteurs ayant des pratiques extensives bénéfiques pour la protection de l’eau de rester rentables ». Des pratiques telles que les prairies permanentes, la diversification, les systèmes de culture et d’élevage, le système de gestion extensive sont en effet plus bénéfiques pour la gestion de l’eau que certaines pratiques mises en œuvre dans des zones favorables à l’agriculture intensive, reconnaissent les auteurs du rapport.
Différents bénéfices ont été identifiés dans le rapport, en fonction des mesures mises en œuvre dans les différents pays. En Roumanie, l’agriculture de montagne s’est avérée avoir un effet positif sur la prévention de l’érosion des sols tandis qu’en France, le soutien aux agriculteurs de montagne « a un impact positif sur la qualité mais aussi la quantité de l’eau pour les zones en aval en régulant les flux d’eau ».
Cependant, des efforts doivent encore être faits dans d’autres régions comme l’Espagne ; selon le rapport, parmi les éleveurs espagnols, ceux qui bénéficient des paiements ICHN ont moins diminué leurs dépenses en engrais que les non-bénéficiaires en France, en Roumanie et en Autriche.
Les paiements ICHN ont des retombées indirectes sur la biodiversité
Comme c’est le cas pour l’eau, l’ICHN ne vise pas directement la protection de la biodiversité. Son principal objectif est de maintenir l’agriculture dans les zones à contraintes naturelles, en mettant l’accent par exemple sur l’agriculture à Haute Valeur Naturelle en France, ou d’éviter l’abandon des prairies en Hongrie, en particulier sur les pentes abruptes des zones de montagne comme en Roumanie. Même si sa logique d’intervention n’est pas axée sur la biodiversité, l’ICHN peut contribuer à la protection de la biodiversité, en fonction de sa mise en œuvre, selon le Rapport sur l’Impact de la PAC sur les Habitats, les Paysages et la Biodiversité.
Le principal avantage du mécanisme ICHN est son soutien à l’agriculture à Haute Valeur Naturelle, qui recoupe aussi beaucoup les zones Natura 2000 des territoires de montagne. Si l’Alliance Environnement reste prudente dans son évaluation de l’ICHN, elle part du principe que la réduction de l’abandon des terres a des effets positifs sur la biodiversité.
La préservation des systèmes pastoraux est en effet reconnue comme essentielle pour protéger certains habitats et espèces ; les prairies de fauche de montagne ou les prairies Nardus riches en espèces en Europe continentale sont par exemple identifiées comme des habitats dépendant entièrement de la gestion agricole. De même, la chèvre sauvage de montagne, le chamois des Appenins, l’aigle royal et l’aigle impérial sont des espèces énumérées dans la Directive Habitats et la Directive Oiseaux dont la conservation est liée aux écosystèmes de prairies et/ou de bruyères/broussailles.
Le rapport souligne également l’importance d’autres mesures de la PAC mises en œuvre dans les zones de montagne, telles que les paiements couplés, qui sont souvent appliqués par les États Membres pour les productions de viande et de lait. Comme pour l’ICHN, les paiements couplés peuvent soutenir l’agriculture à Haute Valeur Naturelle dans les zones soumises à des contraintes naturelles, comme c’est le cas en France avec les paiements couplés pour la production laitière extensive en zone de montagne ou en Espagne pour l’élevage ovin et caprin dans les zones à Haute Valeur Naturelle (telles que les steppes herbeuses et arbustives, les pâturages arables/graminées/arbrisseaux). Le rapport souligne néanmoins la nécessité d’une utilisation cohérente de ces mesures. L’ICHN et les paiements couplés pourraient en effet toutes deux conduire à l’intensification de l’agriculture dans les zones à contraintes naturelles ; mais, en raison des fortes contraintes naturelles qui pèsent sur l’agriculture, les auteurs admettent que ce risque demeure assez faible dans les zones de montagne.
Euromontana soutient le maintien de l’ICHN dans la PAC post-2020 afin de soutenir l’agriculture de montagne en compensant les coûts de production plus élevés dus aux contraintes naturelles. L’agriculture de montagne est essentielle pour éviter l’abandon des terres, qui a de lourdes conséquences sur le développement rural mais aussi sur la prévention des incendies de forêt, pour protéger des écosystèmes et des ressources naturelles particulières, pour maintenir des traditions culturelles reconnues au niveau international, comme la transhumance, et pour contribuer à atténuer le changement climatique. Il est donc essentiel de maintenir l’ICHN dans le calcul du budget obligatoire de 30 % de chaque État Membre pour les agriculteurs qui adoptent des pratiques agricoles bénéfiques pour l’environnement et le climat.
Pour en savoir plus, veuillez consulter notre travail thématique et notre position sur la PAC post-2020.
9 avril 2020